lundi 28 septembre 2009

C'est lundi c'est déchetterie

Malgré l'altitude et le sol rocailleux, les plantes autour de ma maison ne cessent de croître, de prendre de l'espace, de se rejoindre et de s'emmêler. Tondre l'herbe, tailler les haies, tailler les massifs et tailler les arbres deviennent vos activités récurrentes, dans la catégorie jardinage à l'huile de coude. Sans oublier le ramassage des feuilles mortes et du petit bois, c'est déjà l'automne, ainsi que le débroussaillage des herbes folles. De mauvaises herbes, dit-on? Non, ce qui gêne vraiment c'est leur capacité à proliférer sans qu'elles nous aient demandé notre avis, ni celui de notre gazon.

Lorsqu'on découvre tout cela, on en vient naturellement à s'équiper d'outils variés, les uns affublés de longs manches, les autres de pinces ou de lames coupantes, sans oublier d'indispensables paires de gants. Puis quelques outils motorisés viennent compléter votre arsenal : une tondeuse à gazon et un taille-haie seront parmi les premiers outils qui vous donneront un vrai coup de pouce, tant la tâche sans eux serait harassante, longue et parfois fastidieuse. Un aspirateur/souffleur peut également avoir son utilité, mais finalement il n'y a que la fonction souffleur qui soit techniquement au point, j'ai renoncé à la fonction d'aspiration pour reprendre un bon râteau pour les feuilles mortes.

C'est ainsi que vous passez la matinée dans le jardin, tond tond, coupe coupe, taille taille, et que, ces tâches accomplies, vous vous redressez un instant pour contempler votre travail, tout en épongeant votre sueur au front d'un revers de gant. Et c'est là que vous découvrez votre vrai problème. Vous avez rempli une poubelle grand format d'herbe coupée, les tas de feuilles ratissées jouxtent les branches coupées de thuyas qui jonchent le sol au pied de la haie, et plusieurs grosses branches d'arbres et tout leur feuillage sont alignées de l'autre côté de la maison, attendant d'être élaguées et séparées entre l'abri bois pour les branches et un volumineux tas de branchages, de feuilles et de fruits encore attachés pour le reste. Et cela représente un volume monumental qu'il va vous falloir faire disparaître.

Dans les premiers temps, j'ai eu recours à une méthode primaire, mais efficace : enlever les sièges et les accessoires de l'arrière de la voiture, y installer horizontalement les deux grandes poubelles - car en plus de l'herbe coupée dans l'une, vous avez mis dans l'autre les feuilles mortes - aux couvercles pivotants verrouillés par du gros scotch marron, que vous avez conservé entre autres reliques de votre déménagement. Vous remerciez vous-ne-savez-qui que ces poubelles aient des roulettes, et surtout que le fond du coffre soit à la hauteur de l'ouverture, ce qui vous permet d'utiliser habilement l'effet de levier pour y hisser chaque poubelle sans les porter complètement. Premier voyage à la déchetterie. Puis un second voyage à la déchetterie avec les branchages dont vous avez par la suite empli le coffre. Laver les poubelles, aspirer les débris dans le coffre de la voiture, et en saison vous savez qu'il ne se passera pas bien longtemps avant que vous n'ayez à recommencer.

Parmi les options disponibles pour améliorer le processus, il y avait en vrac : installer une mini-déchetterie dans le jardin - un pourrissoir, un compost, une grange, etc.-, faire l'acquisition d'une remorque ou d'une fourgonnette pour arrêter de salir la moitié de la voiture, faire entretenir le jardin par des professionnels apportant outils, main d'oeuvre et moyens de transport. Je vous passe les options triviales à la sauce je m'en lave les mains, telles que laisser le jardin à l'abandon, ainsi que l'évidente retourner habiter en ville, au moins c'est le syndic qui traîne les problèmes de copropriété.

J'ai donc fait l'acquisition d'un outil motorisé, catégorie coupe-branches, broyeur, la dénomination n'est pas claire puisque le jargon international appelle shredder cette machine. Shred c'est un petit bout de truc, coupé, découpé, déchiré, broyé, qui peut prendre la forme d'une frange s'il s'agit de papier ou de copeau si c'est du bois. Déchiqueteuse me semble approprié, mais ce jargon n'engage que moi. Tout ça pour écrire, au bout de six paragraphes, que le Flymo Pac-a-shredder, manufacturé par Husqvarna, est un outil ingénieux, efficace, puissant, et j'ajouterai même huge, awesome, powerful, super, trop fort, waaou. Je vous passe les mortel, glop glop, trop d'la balle, mégakif, warrior etc., c'est fou le nombre d'expressions que l'on peut utiliser pour dire "très bien". Bref, cette machine est une solution pertinente, adaptée et efficace pour débiter des branchages de plusieurs mètres de long et les stocker dans un récipient en plastique d'une soixantaine de litres.

Alors, ce matin, je suis allé à la déchetterie, emportant dans le coffre huit sacs poubelles de cent cinquante litres, emplis de copeaux de bois, d'herbe coupée, de feuilles ratissées, des thuyas du sapin du chêne du merisier du cerisier du tilleul de la vigne vierge et d'autres végétaux dont j'ignore le nom, occupant désormais un espace réduit, ce qui était bien le but de la manoeuvre.

mardi 15 septembre 2009

Pokernet industriel

Il était temps que j'entre dans l'ère moderne du poker. "Quelle ère?" me direz-vous, et je vous répondrai "Celle du poker sur internet." Ce jeu étrange où l'on ne voit pas ses adversaires, où l'on ne sait pas si l'on joue contre un adolescent qui porte une casquette des Yankees, contre un retraité de la Navy qui porte une casquette du Lexington ou contre un yuppie en costume-cravate (c'est bien le seul qui ne porte pas de casquette). A-t-on affaire à un professionnel, à un amateur? Quelle heure est-il chez lui, est-ce son après-midi, son soir, sa nuit? Quelle valeur a pour lui l'argent qu'il joue? Le poker est-il pour lui un loisir comme il va au cinéma ou comme il joue au golf? Est-ce un joueur accroc à la flambe? Est-ce une femme?

Toutes ces questions n'ont pas de réponse. Nos adversaires sont des inconnus. Pas de rapport social avec eux. La discussion sur le tchat' se limite à quelques conventions (nh - nice hand, gg - good game), et le reste du temps le tchat' est un exutoire d'insultes proférées par des joueurs énervés de ne pas avoir gagné comme ils l'avaient imaginé.

Et le poker dans tout cela? Le poker sur internet est un autre jeu. Avec le nombre de mains jouées, il s'ouvre à l'analyse statistique; son support numérique permet la création de bases de données, d'outils logiciels d'aide à l'analyse du jeu; connecté à internet, il est désormais scruté par tous, tout le temps.

Lorsque j'ai commencé à jouer au poker en 2006, j'ai surtout pratiqué à l'Aviation Club de France. En mars 2007, j'ai déposé trois sous sur internet et j'ai commencé à jouer en Pot-Limit Omaha. Le niveau était faible à cette époque, j'ai monté à partir de quelques centaines de dollars quelques milliers de dollars, et j'ai arrêté après avoir testé la procédure de cash-out. En septembre 2007, au hasard d'une nuit de veille de mon second fils, alors nouveau-né, je me suis qualifié pour l'Aruba Poker Classic. Une semaine de vacances pour $309. Voilà ce que représentait pour moi internet : un moyen de se qualifier à des tournois aux buy-in élevé, à l'autre bout du monde. En temps cumulé, j'avais peut-être joué vingt heures en sept mois.

Entretemps, le poker sur internet a changé. Le nombre de joueurs est impressionnant. Certains sont des professionnels du pokernet : ils ont vingt ans, ils jouent vingt heures par jour, et tels les courtiers en bourse du siècle dernier, leur seul objectif est d'être millionnaire avant leurs trente ans. Le niveau de jeu en No-Limit Texas Hold'em a considérablement augmenté : internet c'est l'information; bonne ou mauvaise, vraie ou fausse, elle voyage à la vitesse de la lumière dans une fibre optique. Associations de joueurs, forums de poker, communautés, les joueurs qui ont voulu apprendre ont pu le faire, en sachant lire et trier la myriade d'informations qui leur était offerte.

En décembre 2008, j'ai joué un mois intensif de tournois sur internet. Résultat négatif, non pas que je ne sache pas réaliser de résultats, mais que je ne sache pas tirer parti de mes atouts de joueur de poker averti, et que je ne sache pas m'adapter à cet environnement où le poker est un autre animal à dompter. Et, comme l'on apprend toujours davantage de ses défaites que de ses victoires, j'ai tiré de nombreux enseignements de cet échec, et j'ai fait évoluer mon jeu pour comprendre comment jouer et comment m'adapter sur internet. L'objectif n'est plus de se qualifier pour Aruba ou pour le Main Event des WSOP. Mon objectif est de monter une bankroll à partir de rien - ou disons de pas grand-chose.

Trois dollars, et c'est parti pour le cash-game. Partir des blindes les plus petites, et avancer un pas à la fois. Je suis monté à $30 via des parties aux blindes $0.01-$0.02, me voici désormais aux blindes $0.02-$0.05. Pour l'instant, je joue sans tracker ni hud - les sessions sont courtes et le vivier est trop important pour prendre des notes sur des joueurs réguliers à ces limites; mais cela viendra si je poursuis ma progression.

mercredi 2 septembre 2009

Un de chute à Palm Beach

Résultat décevant lors de la finale du Partouche Poker Tour. J'étais satisfait du tirage de ma place. La classification des styles de mes adversaires a été facile : d'abord trois joueurs serrure - qui vont jouer avec des cartes solides - dont deux pas trop expérimentés; ensuite Pascal Perrault, serrure solide; enfin trois joueurs plus positionnels - c'est à dire plus agressifs en position - dont le jeune québecois Samuel Chartier, qui joue avec la décontraction de sa table finale à l'EPT Barcelone il y a un an (7ème), résultat confirmé par sa victoire à Atlantic City au mois de mars (1er sur un $5000, ça fait $300k tout de même). Alors que, sur le moment, je ne savais pas qui était cet adversaire, j'ai tout de suite ressenti qu'il était expérimenté et prêt à tout pour monter des jetons. Pendant que j'observais, mon image à la table était... celle du mec qui ne joue pas une main.

Puis je suis rentré dans la danse. Je smallball un coup contre Cyril André qui agresse mon bouton depuis le hijack, flop Dame Dame baby, il envoie trois barrels de plus mais le dernier a de la valeur puisqu'il a touché une couleur backdoor avec 75cc. Arrive un nouveau joueur, en retard, dans la zone des serrures (à droite de Pascal Perrault) : c'est Nenad Medic. Il négocie très mal son entrée à la table, d'abord dans le premier coup 4-betté préflop : Samuel Chartier 2-bet, Nenad Medic 3-bet au CO, Cyril André 4-bet à 2050 jetons (second niveau, blindes 50-100), je passe ma BB en sifflotant, Samuel passe, Nenad paie. Le tableau est checké jusqu'au bout, Nenad ouvre 45hh (à sa place j'aurais envoyé la main à la défausse, il ne bat rien), tandis que Cyril André prend le pot avec AK à la hauteur. Second coup, Samuel relance en MP à 250, Nenad relance à 750 au cutoff, Samuel 4-bet à 1750, Nenad paie. Flop AJ5r. Samuel checke, Nenad mise genre 1900, Samuel relance à 4400, Nenad paie. Turn AJ59. Samuel mise 7700, Nenad tank puis paie. River AJ597, Samuel mise un jeton de 5000. Nenad paie assez rapidement, mais muck lorsque Samuel ouvre AJo pour top 2.

Et là, Samuel Chartier a deux fois plus de jetons que les autres joueurs à la table, et va passer la surmultiplée. Il relance neuf mains sur dix préflop, et lorsqu'un joueur agressif ouvre préflop, Samuel 3-bet tout le temps. Et, toutes les fois, Samuel Chartier a remporté le pot préflop, ce qui augmentait le nombre de ses jetons et le confortait dans l'idée qu'il devait continuer sa stratégie. J'ai donc entrepris d'aller chercher des jetons chez lui : sa fréquence de mise impliquait qu'il avait forcément un pourcentage élevé non seulement de bluffs, mais de mains où il mise plusieurs fois avec air, c'est à dire un bluff sans amélioration possible (autant prendre des jetons dans les cas où votre adversaire tire pour pas grand-chose, voire pour rien).

Je limpe UTG avec 22, Samuel relance comme à son habitude, les blindes passent, je paie. Flop J23. Je checke, il cbet demi pot comme d'hab', je paie. Turn J23A, je checke, il barrelle 3/4 de pot, je paie (avec un tempo qui réfléchit et qui laisse penser que je n'ai pas l'As (ce qui est vrai), mais que Samuel ne l'a pas non plus. En tout cas le tableau devient menaçant, ce qui est parfait pour le laisser faire une grosse mise (pour faire peur) à la river. River J23AT, je checke, m'attendant à un gros bet de sa part, mais il mise raisonnablement, je paie mais il ouvre 33 pour la pointure, je muck et je n'exprime qu'un léger mécontentement en claquant mes cartes face cachée sur la table, puis je me lève. Si j'avais joué le coup normalement, je serais déjà dehors en train de parler aux grains de sable, alors tout le reste c'est du bonus et avec 11k jetons, je vais prendre tous les risques pour doubler. Mais le plus gros setup a été pour ma pomme.

Je suis de blinde, Samuel relance à 500 (100-200), je paie en BB avec AKhh. Flop QQ4, je suis devant toute sa range mais je dois faire des jetons. Je checke, avec l'intention d'aller au bout, il mise demi-pot, je paie. Turn QQ42 qui me rajoute un tirage couleur à Coeur. Je checke, il mise encore, et j'ai là le seul coup qui se prête à une réelle analyse de tournoi. Si j'ai des jetons avec de la profondeur, je relance pour prendre le pot tout de suite, et j'ai 15 outs s'il me paie avec une paire en main dans le cas le plus fréquent, soit moins d'un quinzième de sa range . Mais ma situation est différente, je suis désespéré en jetons, et le plan est de payer le bluff à tapis à la river sur any river (à tapis sur hauteur As-Roi donc). Le board est scary, il a les jetons, j'ai une image de wimp, tout est réuni pour que cette image me serve. Ce qui me rend sûr de cette analyse, c'est le fait que Samuel checke en position lorsqu'il a de la showdown value. River QQ246 et je n'ai pas de couleur, je checke parce que la carte est insignifiante, il check behind et ouvre 96o. Je vous l'avais bien dit qu'il checkait pour showdown value. J'ai pris le risque maximum pour faire des jetons et ce n'est pas passé. A tout moment, j'aurais pu relancer et, sauf move aberrant de sa part, j'aurais pris le pot (préflop, flop ou turn), mais j'ai joué pour doubler et lui contester sa position dominante à la table.

Difficile de gagner un tournoi sans gagner un coup :-/

mardi 1 septembre 2009

Spleen au bord de la mer

(Lien ci-dessus vers une chanson d'Isabelle Mayereau)

Peut-on être accroc au spleen? Un lieu, un parfum, un bruit, une ambiance, la madeleine de Proust attend à côté de la tasse de thé. Et quand on aime boire du thé, on s'expose aux souvenirs d'autres temps. Ainsi, je suis passé l'autre jour à Cavalaire. En route pour Cannes, je suis passé voir la maison de mon arrière-grand-père. Dans le centre du village, elle résiste tant bien que mal aux assauts du temps et des transformations de la ville.

Le jardin n'est plus entretenu. L'eucalyptus doit bien faire dix-huit mètres de haut, ses feuilles jonchent le sol poussiéreux du jardin. Il n'y a jamais eu de gazon malgré la nappe phréatique sous le terrain, mais tout pousse très bien malgré le climat méditerranéen (le vent qui souffle à travers la montagne m'a rendu fou). Les poivriers sont également très hauts, et celui qui est à l'avant de la maison est une menace renouvelée sur la rue : une branche s'est brisée et est tombée sur le portillon, et d'autres branches s'immiscent dans les fils électriques (ou du téléphone?) qui courent en haut de poteaux de bois le long de la rue. Les lauriers roses font trois mètres de haut, je les ai connus jeunes massifs; et l'arbre que mon grand-père a planté pendant notre enfance déploie désormais son feuillage en parasol au-dessus des canisses.

Sur les murs extérieurs, le lierre déborde du mur latéral et envahit la toiture. Sur la facade, la bougainvillée, telle une tête d'hydre de Lerne, repousse inlassablement entre la porte et le balcon, et lorsqu'elle est bloquée en haut de la façade par la gouttière, se déploie alors horizontalement, devant les volets de l'étage, autour de la gouttière. Chaque fois que je passe par là, je prends une photo des deux bougainvillées - la maison d'à côté en a également une - qui se disputent chaque saison le concours du plus monstrueux envahisseur à épines - ceux qui ont déjà taillé une bougainvillée compatiront avec moi.

L'intérieur de la maison a vécu. Tout est fonctionnel à l'intérieur, mais la maison n'a que trop peu de visiteurs pour ne pas s'imprégner d'une odeur de renfermé, de poussière, et accueillir parfois quelques moustiques ou quelques fourmis sur la terrasse. Entre autres dégradations, la maison a subi un tag bleu dépourvu de sens sur un mur blanc de chaux, et un volet a été fracturé - tentative abstruse pour espérer voler quelque chose de monnayable, alors qu'il n'y a que des objets de valeur sentimentale d'un autre siècle. Mais les santons, représentant deux vieillards chenus, sont toujours sur la cheminée.

J'ai scié la branche morte du poivrier. Je n'ai pas pu la déplacer, il a fallu que je la recoupe en deux pour pouvoir dégager le portillon. Deux voisines, qui passaient par là, ont partagé avec moi leur désolation de voir cette maison perdre son âme. Mais, ma grand-mère nonagénaire n'y reviendra plus : son sommeil est fragile et le climat froid, chaud et venteux est désormais trop rude pour elle. En outre, revoir cette maison sans la rajeunir déclencherait un crève-coeur, voire une attaque cardiaque.

Moi, je n'ai ressenti que le spleen de voir à l'abandon cet endroit où j'ai passé de nombreuses vacances. Je n'irais pas m'installer là-bas, j'aime trop mes montagnes où je suis désormais installé; et la grouille estivale de la Côte d'Azur me serait sans doute insupportable. Pourtant, j'irais volontiers chercher mes outils et mes gants s'il fallait rajeunir cette maison, pour la rendre à nouveau belle, telle qu'elle est dans mes souvenirs.