mardi 1 septembre 2009

Spleen au bord de la mer

(Lien ci-dessus vers une chanson d'Isabelle Mayereau)

Peut-on être accroc au spleen? Un lieu, un parfum, un bruit, une ambiance, la madeleine de Proust attend à côté de la tasse de thé. Et quand on aime boire du thé, on s'expose aux souvenirs d'autres temps. Ainsi, je suis passé l'autre jour à Cavalaire. En route pour Cannes, je suis passé voir la maison de mon arrière-grand-père. Dans le centre du village, elle résiste tant bien que mal aux assauts du temps et des transformations de la ville.

Le jardin n'est plus entretenu. L'eucalyptus doit bien faire dix-huit mètres de haut, ses feuilles jonchent le sol poussiéreux du jardin. Il n'y a jamais eu de gazon malgré la nappe phréatique sous le terrain, mais tout pousse très bien malgré le climat méditerranéen (le vent qui souffle à travers la montagne m'a rendu fou). Les poivriers sont également très hauts, et celui qui est à l'avant de la maison est une menace renouvelée sur la rue : une branche s'est brisée et est tombée sur le portillon, et d'autres branches s'immiscent dans les fils électriques (ou du téléphone?) qui courent en haut de poteaux de bois le long de la rue. Les lauriers roses font trois mètres de haut, je les ai connus jeunes massifs; et l'arbre que mon grand-père a planté pendant notre enfance déploie désormais son feuillage en parasol au-dessus des canisses.

Sur les murs extérieurs, le lierre déborde du mur latéral et envahit la toiture. Sur la facade, la bougainvillée, telle une tête d'hydre de Lerne, repousse inlassablement entre la porte et le balcon, et lorsqu'elle est bloquée en haut de la façade par la gouttière, se déploie alors horizontalement, devant les volets de l'étage, autour de la gouttière. Chaque fois que je passe par là, je prends une photo des deux bougainvillées - la maison d'à côté en a également une - qui se disputent chaque saison le concours du plus monstrueux envahisseur à épines - ceux qui ont déjà taillé une bougainvillée compatiront avec moi.

L'intérieur de la maison a vécu. Tout est fonctionnel à l'intérieur, mais la maison n'a que trop peu de visiteurs pour ne pas s'imprégner d'une odeur de renfermé, de poussière, et accueillir parfois quelques moustiques ou quelques fourmis sur la terrasse. Entre autres dégradations, la maison a subi un tag bleu dépourvu de sens sur un mur blanc de chaux, et un volet a été fracturé - tentative abstruse pour espérer voler quelque chose de monnayable, alors qu'il n'y a que des objets de valeur sentimentale d'un autre siècle. Mais les santons, représentant deux vieillards chenus, sont toujours sur la cheminée.

J'ai scié la branche morte du poivrier. Je n'ai pas pu la déplacer, il a fallu que je la recoupe en deux pour pouvoir dégager le portillon. Deux voisines, qui passaient par là, ont partagé avec moi leur désolation de voir cette maison perdre son âme. Mais, ma grand-mère nonagénaire n'y reviendra plus : son sommeil est fragile et le climat froid, chaud et venteux est désormais trop rude pour elle. En outre, revoir cette maison sans la rajeunir déclencherait un crève-coeur, voire une attaque cardiaque.

Moi, je n'ai ressenti que le spleen de voir à l'abandon cet endroit où j'ai passé de nombreuses vacances. Je n'irais pas m'installer là-bas, j'aime trop mes montagnes où je suis désormais installé; et la grouille estivale de la Côte d'Azur me serait sans doute insupportable. Pourtant, j'irais volontiers chercher mes outils et mes gants s'il fallait rajeunir cette maison, pour la rendre à nouveau belle, telle qu'elle est dans mes souvenirs.